Ces si (extra)ordinaires alchimistes du sol : un texte – illustré – de Agnès Stienne

Il existe très peu de bon sites sur le sol… (rappelons Jardinons sol vivant : jardinonssolvivant.fr), et très peu de textes à la fois rigoureux, synthétiques, complets et qui, pour s’adresser à des non spécialistes, ne renoncent pas à la complexité et aux nuances !

Quand de surcroît un tel texte est illustré de manière à mener également vers un vrai plaisir artistique…

Voici donc quelques extraits, quelques images, de ce texte écrit et illustré par Agnès Stienne :

Ces si (extra)ordinaires alchimistes du sol

(pour le lire dans son intégralité, c’est ici, sur le site visionscarto.net)
Petite visite en terre inconnue, dans ce repaire où, bien à l’abri des regards, un microcosme souterrain s’active à l’accomplissement du grand œuvre : fabriquer du sol et faire pousser des plantes… éternellement.
   
La lumière se fait plus douce, les températures fraîchissent, les jours raccourcissent. Ici dans la forêt, la palette de couleur des feuilles se réchauffe dans un dernier soupir avant la chute : ocre, ocre jaune, ocre rouge, terre de Sienne naturelle, terre de Sienne brûlée, bronze, oxyde de fer, terre d’ombre, terre d’ombre brûlée… C’est l’automne. Du sol se dégage une chaleur humide et une forte odeur de matières en décomposition, de champignons et de terre envahit nos sens. Ce sont des bactéries (actinomycètes) qui émettent cette molécule, la géosmine, qui donne à la terre cette senteur si particulière. Au pied d’un chêne séculaire, s’échappant d’un épais tapis de feuilles à moitié décomposées, trois petits chapeaux, d’un brun velouté sur le dessus, jaune et mousseux sur le dessous, trahissent la présence d’un coin à cèpes. Des cèpes mais pas l’ombre d’une trompette de la mort ! Mais enfin pourquoi ? Parce que.

L’union fait la force

Les liens intimes entre arbres et champignons ne sont pas un mystère pour qui parcourt les sentiers forestiers à la recherche de jolis spécimens mais la nature de cette relation restait obscure. L’observation souterraine a pourtant bien révélé la présence d’un vaste réseau de filaments blancs très fins, appelés hyphes, qui relient les champignons aux arbres par les racines ; mais les scientifiques ont d’abord cru à une relation parasitaire au bénéfice du champignon. On a compris depuis que cette connexion est le plus souvent profitable aux deux partenaires : il s’agit d’une symbiose qui porte le nom de mycorhize (myco pour champignon, rhize pour racine).

La partie charnue du champignon, celle que nous mangeons, n’est que son appareil reproducteur, tout le reste, le mycélium, étend sous terre son fin maillage d’hyphes ramifiés sur plusieurs mètres. Un centimètre cube de sol peut contenir entre 100 et 1 000 mètres d’hyphes. La connexion s’établit au niveau des racines secondaires et radicelles : les hyphes forment un manchon autour de la racine, et c’est à l’intérieur de ce manchon que les échanges ont lieu. Ce type de mycorhize très spécifique caractérise les champignons ectomycorhiziens. Le champignon prélève du carbone sur la plante pour subvenir à ses besoins et fournit en retour de l’azote, du phosphore et de l’eau puisée dans les pores minuscules du substrat que la racine n’atteint pas. Les filaments sont en quelque sorte un prolongement de la racine qui peut s’étirer sur plusieurs dizaines de centimètres au-delà de la racine elle-même.

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Visite de la rhizosphère

La région du sol directement influencée par le déploiement d’un système racinaire est la rhizosphère. L’activité biologique peut y être 50 % supérieure à celle d’un environnement proche sans racines.
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Rhizosphère, vue en coupe.  Agnès Stienne, 2017.
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Les « transmutations » de la biocénose

La structure du sol, c’est-à-dire l’agencement spatial et la taille des agrégats des particules solides et des pores, découle de l’activité et de la biodiversité de sa biocénose. Les propriétés essentielles à la germination et à la croissance des plantes sont l’aération des matières organiques et des agrégats, l’infiltration, le drainage et le stockage de l’eau, la circulation des nutriments et des micro-organismes, la pérennité de l’habitat de tout ce microcosme.[…]

Les décomposeurs désagrègent les matières organiques. Certains les transforment en énergie, d’autres en nutriments assimilables par les plantes. On recense d’autres décomposeurs parmi la mésofaune (acariens, collemboles), la microfaune (protozoaires et nématodes), les bactéries et les champignons. Ensemble, ils produisent cette substance indispensable qu’on appelle l’humus.

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Stienne - france des vers de terre - jardin-therapeutique - img2La France des vers de terre.  Agnès Stienne, 2017.

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Stienne - biocenose du sol - jardin-therapeutique - img3Principaux services écosystémiques de la biocénose du sol. Agnès Stienne, 2017.

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Un monde en décomposition

Au milieu de tout ce microcosme grouillant d’activité on rencontre bien sûr un certain nombre d’indésirables, les insectes nuisibles et les pathogènes (champignons et bactéries). Dans un environnement naturel, c’est-à-dire non perturbé, la majorité des champignons et des bactéries sont bénéfiques aux plantes. L’abondance et la diversité des micro-organismes dont les fonctions peuvent être redondantes entretiennent une dynamique qui neutralise efficacement les ravageurs par différents mécanismes : compétitions pour les nutriments, parasitisme, production d’antibiotiques ou stimulation de la résistance des plantes.

Malheureusement, tous ces précieux micro-organismes ont un redoutable ennemi appartenant à la communauté de la mégafaune, un mammifère qui a profondément perturbé l’équilibre des écosystèmes des sols : technicus agricola industrius. Plus précisément, les techniques et technologies utilisées par l’agriculture conventionnelle ont éradiqué des sols les plus efficaces partenaires des agriculteurices.

Le labour détruit sur son passage la structure du sol — qui devient de ce fait vulnérable à l’érosion, à l’engorgement et à la compaction — et avec elle l’habitat de la biocénose parmi lesquels les insectes pollinisateurs telles que les abeilles terricoles, les bourdons terrestres, certaines mouches et coléoptères. La monoculture, quant à elle, entraîne une perte considérable de micro-organismes tant en diversité qu’en abondance, de la matière organique et de la fertilité. Ces sols, épuisés, ne sont plus résilients aux éléments pathogènes. Le recours aux intrants chimiques (engrais, pesticides, herbicides et autres biocides) parachève le processus de destruction des sols tout en portant atteinte à la qualité de l’eau et à la santé des êtres vivants.

Quand une culture est affectée par un insecte, un champignon ou une bactérie, il est possible de s’en remettre au génie de la nature en faisant intervenir… un insecte, un champignon ou une bactérie. En dernier ressort, la rotation des cultures avec mise en jachère et les techniques agroécologiques sont, à tout point de vue, les meilleures alliées des terres cultivées.

Agnès Stienne.

Publié sur https://visionscarto.net/ces-si-extra-ordinaires
Lire aussi, de la même auteure : « Le sol, ce bien commun où la vie prend racine », Visionscarto, juin 2016.
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La petite faune des sols. Agnès Stienne, 2017.

Agnès Stienne

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